C’est du moins la conclusion présentée par deux historiens espagnols dans leur livre intitulé Les Rois du Graal (Los reyes del Grial ; ed. Librerías Marcial Pons). Pour Margarita Torres Sevilla, professeur d’histoire médiévale à l’université de Léon, et José Miguel Ortega del Rio, historien de l’art, il ne fait « aucun doute » que la coupe conservée dans cette ville du nord de l’Espagne est celle que le Christ utilisa lors de la Cène.
Au cours d’une conférence de presse organisée le mercredi 26 mars 2014 sous le patronage de la Fondation MonteLeón, les deux auteurs ont décrit la recherche scientifique « minutieuse » qu’ils ont menée pendant 3 ans en collaboration avec la Junta de Castilla y León et au terme de laquelle ils ont découvert que « la basilique de San Isidoro abrite depuis les années 1050 le calice qui, depuis les IVe et Ve siècles, est considéré par les communautés chrétiennes de Jérusalem comme celui du dernier repas ».
De son vrai nom Basilique de la Collégiale royale de San Isidore de León (Real Colegiata Basílica de San Isodoro de León), cette église romane fut fondée en 1063 par Ferdinand 1er dit Le Grand, premier souverain des royaumes unifiés de Castille et León, sur les ruines d’un temple romain de Mercure et près d’une église préromane dédiée à Saint Jean Baptiste, transformée en monastère au Xe siècle pour accueillir les reliques de Saint Pelayo de Cordoue (911 – 925). Situé idéalement sur l’Iter francorum du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle et bénéficiant de la protection de la jeune Cour de León, le monastère s’agrandit et s’enrichit rapidement. Comme en témoigne le Panthéon royal, le roi Ferdinand 1er et son épouse, l’infante Sancha, font appel aux services des meilleurs sculpteurs, tailleurs de pierre et artistes d’Europe pour décorer le bâtiment d’éléments mêlant style roman (alors une nouveauté en Espagne), style asturien, influences wisigothiques et mozarabes.
En 1063, le roi de la taïfa de Séville, Al-Mu’tadid (1042 – 1069), autorise le transfert des restes de Saint Isidore de Séville (v. 556 – 636) dans le royaume de León. La légende raconte qu’Alvito et Ordoño, les évêques léonais et asturiens chargés de ramener les saintes reliques, se seraient égarés en chemin sur des terres marécageuses, sans que les chevaux puissent avancer. En couvrant les yeux de ces derniers, ceux-ci sortent sans difficultés des marécages pour se diriger vers l’église récemment reconstruite des saints Jean Baptiste et Pelayo. Convaincus que cet événement reflété la volonté de Saint Isidore, le roi Ferdinand et son épouse décidèrent de transférer les reliques dans l’église et de la renommer du nom de son nouveau saint patron.
Premier centre religieux du royaume de León, le Trésor de la basilique va s’enrichir au fil du temps de nombreuses pièces exceptionnelles, dont le fameux calice qui fait aujourd’hui l’objet d’un regain d’intérêt.
Après la mort de Don Ferdinand 1er, son royaume fut divisé entre ses enfants : son fils aîné Sanche II de Castille hérite du royaume de Castille et des Asturies de Santilla, son cadet Alphonse IV du royaume de León et des Asturies et son benjamin García II de la Galice. Ses deux filles, Urraca et Elvira, devinrent quant à elles respectivement Dame de Zamora et Dame de Toro. C’est la première qui fit don en 1063 au Trésor de la basilique de San Isodoro de deux coupes en onyx montées en calice et ornées d’or et de pierres précieuses, qui furent enregistrées dans l’inventaire du Trésor de la basilique sous le nom de « Calice de Doña Urraca (Cáliz de doña Urraca).
« El montaje de esta pieza, única en su género, presenta estructuralmente tres partes. Una superior que deja al descubierto en el interior el cuenco de ónice y en el exterior buena parte del mismo, con una remate de oro en forma de aro dividido en tres franjas: una lisa en la parte superior para permitir acercar los labios y beber en el rito litúrgico, otra intermedia de mayor anchura, reservada para una decoración a base de quince cabujones de piedras preciosas como una esmeralda, una amatista y zafiros, junto a dos perlas y un camafeo romano de pasta vítrea con un rostro humano frontal, todo engastado en el oro, y resaltes con formas acaracoladas y cintas, finalmente una inferior con la lámina de oro repujada con formas en serie de hojas y pequeños arquillos. El cuerpo superior queda unido al nudo por cuatro abrazaderas de oro que se ajustan a la curvatura del vaso y dejan visible entre ellas los juegos de vetas minerales características del ónice.
El nudo constituye la parte intermedia y está distribuido en dos partes rematadas por cordoncillos, una de tipo esférico recorrida por una banda central en la que se repite la decoración de grandes piedras y perlas engastadas, hasta un total de quince, aquí alternadas con formas romboidales con esmaltes en verde y acompañadas de caracoles y cintas con trazos vegetales, y otra inferior que se ajusta a la base y que está recorrida por una inscripción votiva que declara la identidad del donante: IN NOMINE DNI. VRRACA FREDINANDI.
El pie o parte inferior deja visible el soporte de ónice, que está recorrido en la base por un aro formado por pequeñas arquerías de tipo otoniano rematadas por una crestería en forma de filigrana y sujeto al nudo con remaches en forma de flores que enlazan cuatro bridas de oro con simulación de perlas, cuya disposición se corresponde con las que aparecen en la parte superior. »
(Traduction provisoire)
[Cette pièce, unique dans son genre, présente un assemblage de trois structures distinctes. La structure supérieure consiste en une coupe en onyx, dont la surface est laissée apparente, totalement sur sa face intérieure et partiellement sur sa face extérieure. Cette dernière est ornée d’un cercle en or divisé en trois bandeaux : le bandeau supérieur présente un aspect lisse pour permettre d’y poser les lèvres et de boire lors des rites liturgiques; le bandeau médian est le plus large des trois et est décoré de quinze pierres précieuses en cabochon (une émeraude, une améthyste et des saphirs), de deux perles et d’un camée romain en pâte de verre représentant un visage de face, le tout enchâssé dans l’or et ajourné de motifs circulaires et linéaires ; le bandeau inférieur, enfin, présente un décor de feuilles et de petites arches en or repoussé. La structure supérieure est fixée au nœud par quatre attaches en or qui s’adaptent à la courbure de la coupe et laissent apparaître entre elles les différentes veines qui caractérisent ce minéral.
Le nœud occupe la partie centrale et est divisé en deux parties séparées par des cordons en or : la partie sphérique reprend le décor consistant en une succession de pierres précieuses de grande taille et de perles (quinze au total) enchâssées dans l’or, en alternance avec des motifs en forme de losange décoré d’émaux de couleur verte, sur un décor d’arabesques et de rinceaux. La partie inférieure s’adapte à la base du calice et est parcourue par une inscription votive précisant l’identité de la donatrice : IN NOMINE DNI. VRRACA FREDINANDI (« AU NOM DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS. URRACA FILLE DE FERDINAND »).
Le pied, ou structure inférieure, laisse apparaître l’onyx qui le compose ; il est parcouru sur sa base par un cercle composé de petites arches dans le style ottonien couronnées de filigranes et relié au nœud par des rivets en forme des fleurs fixés à quatre attaches en or décorées d’un motif perlé qui reprend la décoration des attaches de la structure supérieure.]
(Inventaire du Trésor de la Basilique de Saint Isidore de León)
Si les archives révèlent que la patène (petite assiette sur laquelle repose le pain consacré ou l’hostie lors d’une cérémonie eucharistique) qui l’accompagnait fut dérobée en 1112, le calice devait pour sa part échappé aux troubles et aux rapines qui émaillèrent l’histoire de la péninsule ibérique.
Une datation au carbone 14 s’est révélée impossible du fait de la nature non organique de l’onyx, une analyse plus poussée a toutefois permis de déterminer que les coupes avait été réalisées entre le Ier siècle av. JC et le Ier siècle ap. JC dans les provinces orientales de l’Empire romain.
Mais pour les deux chercheurs, tout bascule en 2011, avec la découverte de deux parchemins à l’Université Al-Azhar du Caire. Datant de 1054, ces documents racontent comment le calice qui était conservé depuis le IVème siècle dans l’Église du Saint Sépulcre de Jérusalem fut donné en cadeau par le roi de la taïfa de Denia au roi Ferdinand 1er, en remerciement des « importantes cargaisons de vivres » que ce dernier pour aider le califat Fatimide à lutter contre la famine qui sévissait alors en Égypte (1064 – 1072).
Autre élément cité par les auteurs pour appuyer leur thèse, ces mêmes documents rapportent qu’au cours de leur voyage vers l’Espagne, les coupes de l’Église du Saint Sépulcre auraient été endommagées et perdu un éclat, absence qui est également visible sur la partie supérieure du Calice de Doña Urucca.
Margarita Torres Sevilla et José Miguel Ortega del Rio reconnaissent toutefois que de nombreuses réponses restent encore sans réponses et « qu’il faudra encore du temps avant que toutes les pièces de ce gigantesque puzzle soient réunies ».
En outre, de nombreux spécialistes et historiens en Espagne comme à l’étranger restent sceptiques quant à ces affirmations. Pour Carlos de Ayala, professeur d’Histoire médiévale à l’Université autonome de Madrid, « la légende du Graal est une invention littéraire du XIIe siècle, sans aucun fondement historique. On ne peut pas trouver ce qui n’existe pas ». Therese Martin, historienne médiévale au Centre national de recherches scientifiques, relève elle aussi que « parmi les spécialistes du Moyen Age, il est d’usage de comprendre les légendes du Graal de manière plus symbolique qu’historique. Si les rois de León avaient cru détenir le Saint Graal, il devrait exister des documents datant de la seconde moitié du XIe siècle, contemporains de la fabrication de l’armature d’or et de pierres. Le livre nous révèlera peut-être de nouvelles sources passées inaperçues jusqu’à présent. Mais même si l’infante Urraca a cru que l’un des gobelets formant le calice était le Graal, un tel concept serait difficile à soutenir de nos jours ».
Le musée, quoi qu’il en soit, va devoir trouver une place plus adaptée pour le calice. « Il se trouvait dans une très petite salle et il n’était pas possible de l’admirer pleinement », explique sa directrice, Raquel Jaen. « Certains des visiteurs sont sceptiques, d’autres viennent par curiosité et d’autres encore envisagent la possibilité” que le calice soit authentique, raconte-t-elle. Néanmoins, selon elle, l’annonce est d’une grande importance, “pour le musée comme pour la ville”. “La recherche s’est basée pour beaucoup sur des méthodes scientifiques. Il appartiendra aux autres d’évaluer ces conclusions, et de dire si elles sont valides ou non”.